mardi 14 juillet 2015

Chapitre 2.

Le réveil indiquait 6h02 de ses lettres rouges digitales. Un grognement franchit les lèvres de Hansa, incapable de dormir un peu plus. Un cauchemar, rien d’autre, elle était habituée. Il n’arrivait pas une seule nuit où elle parvenait réellement à s’enfoncer dans un sommeil profond, sans rêves, sans pleurs, en dehors des nuits où elle s’effondrait dans son lit après plusieurs nuits blanches, ce qui lui arrivait plus souvent qu’elle ne voulait bien l’admettre. Elle ignora la migraine qui faisait rage dans son esprit pour s’habiller, se contentant d’un t-shirt Ironman bien trop grand pour elle. Il fallait dire que la jeune-femme n’avait jamais été bien grande, un mètre cinquante-sept aux dernières nouvelles. Elle était mince également, presque frêle. Enfin, c’était en tout cas l’impression qu’elle donnait, mais sa poigne était si forte qu’elle aurait pu faire se plier n’importe quelle armoire à glace. La jeune femme se dirigea sans bruit vers la cuisine, où elle mit en marche la machine à café. Elle ne comprenait pas ses gens qui, le matin, pouvaient se contenter d’une dosette bon marché. Quand elle en avait l’occasion, il lui fallait à tout prix sa dose de café, de vrai café, aussi noir que possible. Ce dernier versé dans une tasse sans motif, elle se dirigea vers le salon. Endormi dans le canapé, son frère renflait bruyamment. Il avait, au cours de la nuit, fait tomber le plaid dont Hansa l’avait recouvert avant qu’elle n’aille se coucher. D’un mouvement absent, elle le recouvrit à nouveau, avant de s’asseoir sur la petite table de salon, et de le regarder d’un air attendri. Quand bien même les deux se ressemblaient fortement, Aaron n’affichait aucun stigmate d’une enfance malheureuse, ni d’une jeunesse tourmentée. Au contraire, ainsi endormi, il avait l’air d’un angelot. Retenant un soupir, Hansa se releva. Des recherches l’attendaient, bien qu’elle pouvait déjà entendre les reproches de son frère dans quelques heures « Mais on ne travaille pas le jour de Noël ! » Ces américains … 

Son bureau était à côté d’une baie vitrée, laquelle donnait sur un balcon. De là, elle avait vue sur toute la ville, le genre de détails qui aurait pu avoir toute son importance si Hansa en avait eu quelque chose à foutre. C’était le seul endroit de son appartement qui ne donnait pas l’impression de sortir d’une publicité Ikéa, avec des classeurs rangés par ordre chronologique qui lui faisaient face, et une montagne de paperasse disposée dans des bacs à papier. Juste à côté de son ordinateur, un cendrier qu’elle vidait tous les soirs, mais qui ne le restait jamais longtemps. Son premier réflexe avait été de regarder ses mails, lesquels contenaient essentiellement des demandes d’information venant de son oncle. Elle ignora le dernier, celui qu’il avait dû lui envoyer après qu’elle ait raccroché. Lui non plus n’était pas du genre à fêter noël. Hansa avait autre chose à faire que de perdre son temps à lui rendre des comptes. Elle devait notamment se renseigner sur le fameux mécène de Dimitri Berchov. Ce dernier était un industriel russe qui s’était installé en Corée voici plus de trente ans. Il avait épousé une femme coréenne issue d’une riche famille, alors que lui-même n’avait pas encore fait fortune. Cette dernière avait financé son entreprise, une agence d’assurances pour industriels, qui avait très rapidement rapporté gros. Il avait alors été surpris avec une autre femme, une affaire qui avait fait grand bruit et qui lui avait valu un divorce relaté par les médias. Il avait, peu de temps après, épousé une autre femme, Hye-Sun Kim, qui lui avait donné un fils, Nicolas Berchov. Trois ans plus tard, alors que la société de son mari se trouvait dans une tourmente judiciaire, Hye-Sun mit mystérieusement fin à ses jours. Hansa n’était pas encore remontée jusque là – l’affaire ayant une dizaine d’années – mais tout laissait à penser que Berchov avait engagé un tueur à gage pour éviter que sa femme n’ait la langue trop bien pendue. Finalement, en deux-mille-neuf, il avait rencontré Ji-Na Lee, une femme vingt-ans plus jeune que lui. Un nouveau scandale, puisqu’il s’agissait d’une strip-teaseuse. Mais il l’aimait sincèrement, cette fois. Deux ans après leur mariage, Ji-Na avait accouché d’une petite fille, Anastasia Berchov. 
 La crise de deux-mille-sept n’avait pas épargné les assurances Berchov, mais comme Hansa l’avait expliqué à son oncle la veille, elle avait depuis connu la générosité d’un mécène anonyme. De ce qu’elle savait, Berchov avait eu des relations avec la mafia russe, mais la jeune-femme doutait fortement que celle-ci soit intervenue en faveur de Berchov ; il n’avait la vie sauve que par un mystérieux concours de circonstances dont Hansa ne connaissait pas tous les détails. Lors d’une filature, Hansa avait néanmoins surpris Berchov en compagnie de Jao Chang, une des figures de proue de la mafia chinoise. Cela signifiait-il pour autant que la mafia chinoise était derrière le sauvetage de la société ? Hansa savait depuis longtemps qu’il en fallait bien plus que quelques mots et une poignée de main pour conclure un contrat. Elle vivait, évoluait dans ce milieu depuis son plus jeune âge. Elle avait vous son oncle offrir le thé à des invités, pour leur planter ensuite un poignard dans le dos – au sens propre comme au figuré. Néanmoins, il s’agissait là d’une piste intéressante. Le seul moyen de la confirmer était donc de se rapprocher soit de Berchov, soit de Jao Chang. Le russe avait un goût prononcé pour les femmes plus jeunes que lui, et Hansa savait se rendre séduisante quand il le fallait. Entre les deux poissons toutefois, il y avait probablement plus à creuser chez Chang. Avant de se lancer dans une telle entreprise, il lui faudrait néanmoins récolter un certain nombre d’informations, ce qui risquait de ne pas être de tout repos. 
- Grande sœur … appela soudain une voix pâteuse depuis le salon. 
 - Aspirine dans la salle de bain, premier tiroir du haut dans la colonne à côté de la porte. 
La jeune-femme pouvait imaginer l’expression de son frère à cet instant, ouvrir la bouche, puis se raviser pour se diriger sagement vers la salle de bain. Voici quelques mois, il lui aurait probablement réclamé un câlin, mais il avait entre-temps appris à quel moins elle haïssait les démonstrations d’affection – même si de son côté, il ne pouvait s’en empêcher. Il finit par la rejoindre, passant ses bras autour de ses épaules pendant qu’elle poussait un léger grognement. 
 - Tu es au courant que c’est le matin de Noël ? lui demanda-t-il alors, sa moue boudeuse se réfléchissant dans l’écran de l’ordinateur. 
 - Par pitié, ne me dis surtout pas que tu as acheté un cadeau. 
 Il poussa un soupir las, ne s’attendant pas vraiment à une autre réaction de son aînée. Aaron s’en alla sur le coup des onze heures, laissant Hansa se replonger dans ses recherches. 

Si, à ses dix-huit ans, elle avait choisi le journalisme, ce n’était pas par passion, loin de là. Simplement, les journalistes étaient toujours les mieux informés. Mieux que les politiques, mieux que les flics. C’était la seule raison qui l’avait poussée à choisir cette voie. Elle ne le regrettait jamais. Elle avait néanmoins écrit quelques articles pour le plaisir, qu’elle avait vendu à des journaux sous les initiales « H.K. ». Ses articles se vendaient toujours très bien, c’était une reporter incroyable, à la plume vive et acérée. Les gens aimaient ce qu’elle écrivait. Bien des journaux lui avaient proposé une place dans leurs locaux, surtout quand elle avait compris qu’elle pouvait tirer beaucoup de ses articles, mais elle avait toujours décliné les propositions. Un travail à temps plein ne lui laissait pas assez de temps pour ses autres occupations, et Dieu savait qu’elles étaient nombreuses. Elle n’aurait par exemple pas pu passer une journée entière devant son ordinateur, enchaînant café sur café, cigarette sur cigarette, pour découvrir tout ce qu’elle pouvait sur Chang. Ainsi, ce fut avec un grognement qu’elle découvrit qu’il était dix-huit heures lorsque son téléphone s’illumina pour afficher un message. « Grande sœur, tu viens manger avec moi ? Dis oui stp ». Hansa aurait eu intérêt à répondre non, et pourtant, vingt minutes plus tard, elle se retrouvait dans un petit restaurant dans lequel elle mangeait souvent, à ce point que le serveur avait retenu ses habitudes. 
 - Comment va ta petite amie ? Avait-elle alors demandé sur le ton de la conversation, en attendant que leurs repas n’arrivent. 
 - Oh, bien, je suppose, répondit Aaron en se renfrognant. 
 - Que s’est-il passé ? 
 La thaïlandaise n’avait jamais été du genre à faire les choses en douceur. En vérité, elle avait du mal avec les notions de tact et de diplomatie lorsque cela concernait ses proches. En la matière, Aaron était le seul à porter l’étiquette de « très proche ». Il riait d’ailleurs du fait qu’il était le seul homme à avoir jamais dormi chez Hansa. 
- Bah tu sais, histoires de couples, répondit-il dans un haussement d’épaule. 
- Non, je ne sais pas. 
Hansa n’avait jamais été en couple. Elle avait eu des amants, plus d’un, mais n’était jamais tombée amoureuse et considérait donc qu’elle n’avait jamais été en couple. En général, ses amants avaient fini par se laisser de son absence d’implication, ou ses tromperies incessantes. Puis avec les années, plus personne n’avait espéré la séduire. 
- On s’est séparé il y a deux jours… commença-t-il. 
La jeune-femme regretta aussitôt d’avoir posé des questions. En effet, le ton qu’avait employé Aaron laisser entrevoir une longue et passionnante histoire d’amour, gloire et beauté, tout ce que détestait Hansa. Mais c’était son frère. Aussi se contenta-t-elle de se taire et d’écouter. 
- Tu vois, je suis rentré pour lui faire une surprise, comme ça faisait des mois que l’on ne s’était plus vu. Depuis qu’elle est partie à Orlando en fait. 
Eileen – la petite amie – était une américaine qui avait fait ses études en Corée pour Dieu sait quelle raison (Hansa n’avait jamais cherché à savoir). Elle était néanmoins partie à Orlando quatre mois plus tôt pour un stage dans une grande entreprise. Cela faisait deux mois qu’Aaron avait acheté ses billets, et il ne cessait de parler de ce voyage à Hansa. 
- J’arrive à l’adresse qu’elle m’avait donnée, et là je sonne à la porte. Et tu sais qui vient m’ouvrir ? 
- Non ? Demanda-t-elle plus par politesse que par intérêt. 
- Son petit copain ! Madame file le parfait amour avec un ricain arrogant et prétentieux ! 
Aaron semblait ne pas en revenir, Hansa ne trouvait pas cela surprenant. Néanmoins, quand bien même elle avait fait pire de son côté, elle ressentit aussitôt une profonde antipathie pour la jeune-femme. Après tout, son frère était de ces êtres fragiles qui accordaient de l’importance à l’amour, et la jeune thaïlandaise appréciait moyennement qu’on puisse blesser son cadet. Il s’étendit encore longuement sur cette histoire, sur leur dispute, et tous les détails inintéressants de leurs « problèmes de couple » auxquels Hansa ne comprenait pas grand-chose. Le serveur du petit restaurant avec eu l’occasion de leur demander à deux reprises s’ils voulaient des desserts, et d’apporter à chaque fois un nouveau sundae à Aaron, quand il termina enfin son récit. 
- Les femmes sont toutes des salopes de toute façon, finit-il par conclure, enfin, pas toi bien sûr. 
- Aaron … 
- Bon d’accord, toi aussi, mais toi je t’aime, c’est différent. 
Ce traitement de faveur arracha un sourire à Hansa, qui payait le serveur tout en rangeant ses affaires. Ils étaient déjà dehors lorsque son petit frère recommença à parler. 
- T’es de service aujourd’hui ? 
- Le bar est fermé le vingt-cinq. 
- C’est con. Tu fais quelque chose ? 
Aaron ne trouvait pas ça con du tout. Enfin, peut-être qu’il trouvait le principe con, mais au son de sa voix, Hansa pouvait entendre qu’il était plus que ravi que sa sœur ne travaillait pas. 
- Tu vas encore me demander pour sortir ? Anticipa Hansa en soupirant. 
- S’il te plait, grande sœur ! 
- Aaron, tu connais déjà la réponse.
- Mais pourquoi ? 
Plus que jamais, le jeune-homme, qui avait pourtant vingt-quatre ans, avait l’air d’un enfant. Il regardait son aînée avec de grands yeux brillants, et la lèvre inférieure tremblant légèrement. Parfois, il espérait que son petit cinéma marche réellement. 
- Tu sais le pourquoi, se contenta de répondre Hansa. 
- Parce que tu ne veux pas que Hansa-la-dure-à-cuire soit vue avec son adorable petit frère, grommela-t-il en enfonçant ses mains dans ses poches. 
- Non, Aaron. Je ne veux pas que mon adorable petit-frère soit vu en ma compagnie, c’est complètement différent. 
- Je vois pas la différence, râla le jeune-homme. 
Hansa stoppa, restant quelques pas derrière son frère. Ce dernier s’en rendit rapidement compte, et fit volte-face pour regarder sa sœur, un air intrigué sur le visage. Au contraire, Hansa était extrêmement sérieuse, la mine fermée. 
- Ne fais pas l’enfant Aaron, je refuse que tu te retrouves mêlé à des affaires dangereuses à cause de moi. 
La jeune-femme n’avait jamais éprouvé de sentiments pour qui que ce soit. Quand son frère avait débarqué dans sa vie, c’était la première fois qu’elle se rendait compte que l’on pouvait avoir peur pour la vie d’autrui. Cette angoisse était présente à chaque seconde. Chaque fois que le téléphone sonnait pour afficher un numéro inconnu, elle craignait que son frère soit en danger. Chaque fois que l’on frappait à sa porte, elle avait peur que la vie de son frère soit menacée. Mais cela, il ne le comprenait pas. Il jouissait d’une incroyable insouciance que lui enviait parfois la jeune femme. Pourtant, Aaron retrouva son sérieux, et se redressa légèrement. Ainsi, il ressemblait plus que jamais à son aînée, leurs cheveux blonds se détachant de la foule compacte qui se pressait sur le trottoir. Il avait finalement l’air d’un homme. 
- Je sais Hansa, je connais les risques, mais je veux faire partie de ta vie, peu importe ce qu’elle est.
Hansa mordit l’intérieur de sa joue, réellement touchée par de telles paroles, mais n’en laissa rien paraître. Elle ne laissait jamais rien paraître, pas quand ses sentiments étaient si compliqués même pour elle. Son petit frère savait qu’il en allait de sa vie, qu’elle n’avait pas le droit à l’erreur, pas même avec lui. Mais il détestait cette distance qu’elle maintenait entre eux. Il se moquait bien mal de savoir quels dangers il encourait. Hansa avait vu leurs parents mourir, elle avait grandi avec ces images en elle, il refusait de rester en arrière et de la laisser souffrir seule. Il voulait être là pour elle, et ce peu importait ce qu’elle pouvait en dire. Il l’aimait autant qu’un frère pouvait aimer sa sœur, et ce peu importe le nombre d’années qui s’étaient écoulé sans qu’ils ne puissent se voir. Elle mit un moment avant de répondre. 
- Rentrons Aaron, s’il te plait. 
Il acquiesça, mais elle savait qu’il n’en serait pas toujours ainsi. Il y aurait un jour où son frère se retrouverait mêlé à ses histoires, et Dieu savait à quel point elle redoutait cette journée.

dimanche 21 juin 2015

Chapitre 1.

21h43. L’air frais semblait lourd et malsain dans la ruelle mal éclairée de la capitale coréenne. Debout, appuyée contre un mur, Hansa ajustait son écharpe devant son visage blafard. Son client était en retard, comme si elle n’avait rien de mieux à faire que d’attendre qu’il daigne se montrer. Dans la poche de son jeans laminé, elle pouvait sentir le petit sachet en plastique hermétiquement fermé, celui qui attendait lui aussi que l’acheteur ne fasse son entrée. Soudain, au bout de la ruelle, du mouvement. Hansa se redresse, et observe la silhouette mal assurée s’avancer vers elle. Il porte un chapeau fédora et un long imperméable noir. Il ne semble pas habitué à l’obscurité de la nuit, pas vraiment le genre que l’on s’imaginerait payer une petite fortune pour un petit sachet de coke. C’était pourtant l’essentiel de sa clientèle : des hommes n’ayant rien d’autre à faire que de claquer leur argent dans de la drogue qu’ils consommaient lors d’orgies auxquels ils s’adonnaient volontiers, accompagnés de minettes plus jeunes que leurs filles. Ils répugnaient la jeune-femme, mais tant qu’ils payaient, elle se taisait. Elle-même avait déjà fait bien pire, mais c’était une autre question. 
- Vous avez ce qu’il faut ? 
Pas une salutation, juste un timbre de voix qui se veut nerveux, pressé. 
Hansa hoche la tête en sortant le sachet de sa poche. L’homme tourne frénétiquement la tête comme pour s’assurer que personne ne les verra. Une fois cette certitude acquise, il lui tend une liasse de billet. C’est un novice, pense la jeune-femme, il n’osera pas se jouer de moi. Aussi ne prend-t-elle pas la peine de vérifier, et tourne les talons une fois l’argent encaissé. De toute façon, la drogue, ce n’est rien d’autre qu’une couverture parmi tant d’autres. 

Reprenant une route plus fréquentée, Hansa sort de la poche de sa veste en cuir un paquet de cigarettes. Elle n’est pas accro, mais aime sentir l’air et la cendre envahir ses poumons, comme la promesse d’une mort plus rapide. Glissant le tube entre ses lèvres, elle l’allume, son regard concentré sur la lueur incandescente qui semble briller au milieu de la nuit. Lentement, évitant les gens qui se pressent sur le trottoir, la jeune-femme rejoint son appartement. Un pied-à-terre acquis grâce à l’argent de la drogue, ainsi qu’à quelques articles. Hansa est journaliste le jour, foutrement douée dans son domaine. Plusieurs grands titres se sont battus pour l’engager en tant que journaliste salariée, mais elle a toujours refusé ; elle tient à son indépendance. À l’intérieur de l’immeuble, la chaleur contrastait avec l’extérieur, forçant Hansa à retirer son écharpe tout en s’avançant vers l’ascenseur. Les portes s’ouvrirent sur une femme, petite, ridée mais aux cheveux noir geai. 
 - Ah, mademoiselle Kim ! Comment allez-vous ? Demanda la concierge en se forçant d’être sympathique. 
 Elle n’avait jamais apprécié ladite mademoiselle Kim, sans doute à cause de sa dégaine, de ses tatouages, ou encore de ses cheveux décolorés d’un blond presque blanc. Mais elle n’avait jamais eu à se plaindre : Hansa était une voisine idéale, qui ne faisait jamais de bruit, qui ne ramenait jamais personne. Elle-même était rarement présente à dire vrai. 
 - Très bien madame Cheong, et vous-même ? 
En guise de réponse, cette dernière émit un petit bruit de mépris, mais que Hansa associait toujours au couinement d’un chat en fin de vie. Sur ces mots, elle s’engouffra dans l’ascenseur, échangeant ainsi sa place avec celle de la concierge, qui sortit de l’immeuble d’un pas rapide. Il manquerait plus qu’on la voit copiner avec la jeune-femme, cela ferait tâche. Hansa se moquait bien mal du regard d’autrui, elle n’y prêtait plus attention depuis longtemps. Comment aurait-elle pu vivre sinon ? Aussi loin qu’elle se souvienne, les gens avaient toujours eu tendance à la qualifier de monstre. C’était justifié.

Son appartement reflétait ce qu’elle était : il était vide, blanc, froid. Horriblement bien rangé également. Voici un an, elle vivait dans un loft miteux en périphérie, meublé d’occasion, un taudis dans lequel elle s’était toujours bien sentie. Elle avait dû déménager quand un trafiquant de drogue mal avisé avait tenté de la descendre en tirant trois balles au travers de sa porte. Elle avait été blessée au bras, une simple égratignure qu’elle devait à ses excellents réflexes. Les flics avaient rappliqué, alertés par la folle aux chats de l’étage supérieur. Cette dernière avait toujours adoré Hansa depuis qu’elle avait surpris la jeune-femme en train de nourrir les chats derrière l’immeuble. Hansa haïssait les gens, mais aimait les animaux. Toujours était-il qu’elle vivait depuis dans un appartement relativement luxueux, dont tous les meubles s’accordaient. Sur la gauche trônait un canapé en cuir noir d’un relatif inconfort. Il faisait face à un écran plat dernier cri, que la jeune-femme allumait presque d’instinct. Les cris et rires de personnages en deux dimensions et aux couleurs fantaisistes envahirent alors la pièce, sans que Hansa ne leur prête la moindre attention. Retirant sa veste, elle l’accrocha au porte manteau de sa chambre, prenant néanmoins soin de prendre son portable. Les clopes pouvaient bien y rester, elle avait toujours un paquet dans la salle à manger. Un regard sur l’écran du téléphone lui indiqua néanmoins que son oncle avait tenté de l’appeler trois minutes plus tôt. Il rappellera dans deux minutes, supposa-t-elle sans plus d’affaire, tandis qu’elle se dirigeait vers la cuisine hyper-équipée. Le frigo renfermait toute sorte de plats préparés, quand bien même la jeune-femme était une excellente cuisinière. La plupart du temps, elle ne se donnait tout simplement pas cette peine, rentrant à des heures pas possible. Elle était barmaid à mi-temps, une troisième couverture qui lui permettait de se faire des contacts facilement. Deux minutes plus tard, son téléphone sonna, affichant le nom de son oncle. 
- Oui ? 
- Tu n’es pas capable de décrocher au premier appel ? lui reprocha la voix masculine et désagréable de l’autre côté. 
- Tu veux quoi ? Se contenta de demander Hansa d’une voix lasse. 
- Tu as des nouvelles sur Dimitri Berchov ? l’interrogea-t-il alors sans autre forme de cérémonie. 
- Marié, deux enfants, trois maîtresses, dont une qu’il ne voit que le mercredi au Lotte Hotel. Sa société va mal depuis 2007, mais semble redresser la pente grâce à un généreux mécène anonyme. 
- Qui est-il ? 
- Il est anonyme, ce qui implique que personne ne le sait. J’ai pas encore mis la main sur son nom. 
- Et tu attends quoi ? 
Le téléphone coincé entre son épaule et son oreille, Hansa fit préchauffer son four, tandis que son choix s’était arrêté sur une pizza végétarienne, qu’elle s’affairait à présent à retirer de son carton d’un air absent.
- Là, je me fais à bouffer en fait. 
Il sembla à la jeune-femme que son interlocuteur proférait un juron, mais au même moment la sonnette retentit. Se figeant, elle attrapa le Colt Anaconda qui était planqué derrière la machine à café. Elle raccrocha, et passa son téléphone en silencieux, avant de le glisser dans sa poche arrière. Lentement, et silencieusement, elle s’approcha de la porte tout en longeant le mur, juste au cas où. Il y avait peu de personnes qui connaissaient son adresse, et encore moins qui seraient passé sans prévenir. La seule qui aurait pu était censée se trouver en Amérique en ce moment-même. 
- Qui est-là ? Demanda Hansa d’un ton détaché, mais l’arme tendue vers la porte. 
- Un assassin de quarante-trois piges en train de braquer un AK47 sur le judas, répondit l’étrange personnage. 
Hansa poussa un soupir las avant de coincer son arme dans la ceinture de son pantalon. 
- Bon sang, Aaron, t’étais censé passé Noël à Orlando. 
- JOYEUX NOËL ! S’écria ledit Aaron en écartant les bras et en affichant une mine ravie. 
- C’est demain, idiot. 
Tournant le dos au jeune homme qui semblait plus jeune de quelques années, Hansa se souvint qu’elle était sur le point de mettre à cuire une pizza avant l’arrivée impromptue du joyeux luron. 
- J’avais hésité entre le colt et le Smith & Wesson, déclara Aaron en remarquant l’arme dépasser du pantalon. 
- J’étais sur le point de me faire à manger, expliqua Hansa comme s’il s’agissait d’une évidence agaçante qu’il ne devrait pas être nécessaire de rappeler. 
- Ah oui ! Le Smith & Wesson c’est dans la chambre, c’est ça ? 
En guise de réponse, la blonde hocha la tête, pendant qu’Aaron jetait sa veste sur le bar étincelant. Il se ravisa néanmoins en remarquant l’air désapprobateur de la jeune femme. Il prit alors deux minutes pour aller accrocher sa veste au porte manteau qui accueillait déjà celle d’Hansa. Sans attendre d’être revenu dans la cuisine, il lança à cette dernière 
- Alors, tu fais quoi ce soir ? 
Sans le jeune homme, elle aurait probablement oublié que c’était une soirée un peu particulière : le réveillon de Noël. Aaron et Hansa étaient le jour et la nuit. D’ordinaire, elle aurait fui une personne aussi rayonnante, lumineuse. Mais les deux partageaient quelque chose que les différences ne pouvaient effacer : le sang. Ils s’étaient retrouvés trois ans plus tôt, alors que Hansa finissait ses études. Aaron Douglas était alors arrivé en Corée avec sa dégaine de californien, et un sourire jusqu’aux oreilles. Ce n’était pas un hasard : depuis sa majorité, il avait cherché à retrouver cette sœur qui lui apparaissait parfois en rêve. Il ne savait pas grand-chose, trop jeune lors de leur séparation, et avait fort déchanté lorsque cette dernière lui avait refermé la porte au nez en clamant qu’elle n’avait pas de frère. Hansa était amnésique, il l’apprit deux mois plus tard mais l’intermédiaire d’un cousin. Il leur avait fallu du temps pour apprendre à s’apprivoiser. Là où Aaron s’était imaginé une sœur douce et aimante comme elle l’avait été dans ses souvenirs, il avait retrouvé une femme froide et dure, dont le cœur avait été déserté par l’amour. Il fallait dire que les deux avaient mené une vie très différente : Hansa avait été adoptée par son oncle quand elle avait cinq ans, soit directement après la mort de leurs parents. Aaron avait passé une année de plus à l’orphelinat, avant d’être adopté par une riche famille américaine qui ne pouvait pas avoir d’enfants. Il avait grandi à Los Angeles, dans une grande villa en bord de mer, aimé, voir même étouffé, par ses parents adoptifs. À sa question, Hansa haussa les épaules. Elle ne faisait jamais rien pour le réveillon, qu’il soit de noël ou de la nouvelle année. Elle n’était pas du genre à fêter quoique ce soit, elle oubliait généralement son anniversaire. Depuis qu’elle avait retrouvé son frère cependant, les choses étaient quelque peu différentes. Plus tôt dans l’année, elle s’était même perdue deux heures durant dans une galerie commerciale à la recherche d’un cadeau pour son cadet. Elle s’était maudite à plusieurs reprises pour avoir gaspillé son temps, mais l’étreinte de son frère – qu’elle avait repoussée par principe – avait bien valu le sacrifice. Aaron demeurait la seule personne pour laquelle elle nourrissait une réelle affection. 
- Je te pensais de l’autre côté du globe ? Finit-elle par dire en se servant une bière, avant d’en donner une au jeune-homme. 
- Ouais, mais j’avais le sentiment que t’allait passer Noël seule, alors je suis rentrée, répondit-il simplement, en se grattant l’arrière du crâne. 
Depuis qu’il avait retrouvé Hansa, il s’était décoloré les cheveux lui-aussi, rendant leur lien familial ridiculement évident, ce qu’elle avait toujours réprouvé. La jeune-femme poussa un soupir las, avant d’être rattrapée par le regard inquisiteur de son frère. Ce dernier semblait s’être soudain assombri. 
- Une pizza ? Ne me dis pas que tu comptais sérieusement bouffer une pizza devant les dessins animés alors que c’est le réveillon ? 
Non. Elle comptait bouffer sa pizza en faisant des recherches. Mais elle se garda de le dire, sentant qu’aux yeux de son jeune-frère ce serait pire encore. Aussi se contenta-t-elle de grimacer en portant la bière à ses lèvres. 
- Je suppose que tu vas m’épargner cette disgrâce ? 
- On pourrait sortir ! S’enthousiasma-t-il comme s’il espérait réellement que sa sœur accepte de faire la fête alors qu'elle venait tout juste de rentrer. 
- Non. 
L’enthousiasme retomba, et le regard de chiot abattu n’eut pas le moindre effet sur le cœur de pierre de la jeune-femme qui le toisait du regard, attendant une proposition plus réaliste. Celle-ci ne venant pas, elle reprit elle-même la parole. 
- Mais on pourrait mettre une deuxième pizza au four, et se bourrer la gueule devant les dessins animés. 
Ce fut au tour d’Aaron de grimacer. Il ne trouva cependant pas de meilleure idée. Au moment de mettre la pizza d’Hansa au four, cette dernière fut donc rejointe par une hawaïenne, alors qu’Aaron fit glisser un casier de bière vers la table du salon. Profitant de la courte absence de son frère, Hansa envoya un message à son oncle « Aaron est là. Inutile de me rappeler. »

samedi 20 juin 2015

Noir.

(On peut dire que je me suis cassé la tête pour le titre.) 



Amis du jour, bonjour, ceux du soir, bonsoir. 
Je me sens toujours extrêmement idiote de parler ainsi à un écran, en ne sachant pas qui me lira, soyez donc indulgents avec moi. 

Pour ceux qui ne me connaissent pas (sans doute la majorité en fait), je m'appelle Virginie, une jeune belge d'une vingtaine d'année passionnée par l'écriture. J'ai derrière moi deux romans non publiés, qui traînent dans un tiroir en attendant d'être envoyés à des éditeurs. Seulement comme je suis une grande flemmarde et qu'envoyer des manuscrits, ça coûte cher, je sais pas encore quand je ferai ça haha. Toujours est-il qu'étant sur un nouveau roman (enfin, "un" ... le jour où mon cerveau me laissera sur un roman à la fois, je dormirai bien mieux !) j'ai décidé de faire comme pour mon précédent, et le commencer en ligne. Du coup, je vous présente "Noir.", une histoire aux antipodes de ce dont j'ai l'habitude ! 

"Les rires, la joie, l'allégresse. Toutes ces choses que Hansa a connu dans un lointain passé dont elle-même ne se souvient pas. Aujourd'hui il ne restait rien à la jeune-femme, à part une vengeance léguée par un oncle autoritaire, et un frère un peu trop solaire pour elle. Peut-être que si la vie avait été plus clémente avec elle, il en aurait été différemment. Peut-être si ses parents n'avaient pas été emportés par la cruauté des hommes lorsqu'elle avait cinq ans, elle aurait connu le bonheur elle-aussi. Ces questions, inutiles de se les poser. À vingt-six ans, Hansa est une jeune-femme forte, froide, dangereuse, à qui la nuit sied comme un gant. Et tandis que la ville resserre son étreinte autour de sa fine silhouette, elle met tout en oeuvre pour retrouver les assassins de ses parents."